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Les cellules souches pourraient devenir les concurrents directs de Nvidia. Cortical Labs, une startup australienne d’intelligence artificielle, a entraîné des cellules cérébrales humaines sur une puce informatique pour jouer au jeu vidéo Pong, une simulation rudimentaire de tennis.
Ces cellules ont réussi à apprendre à jouer en cinq minutes, grâce à leurs communications électriques. « Ces neurones ont leur propre réactivité électrique interne. Si vous leur donnez les bonnes informations, vous pouvez façonner leur comportement, de sorte qu’ils ne déclenchent pas d’activité électrique aléatoire, mais qu’ils soient capables de bouger de manière dictée », le tout, avec moins de données et « beaucoup moins d’énergie que les systèmes d’intelligence artificielle » assure Hon Wen Chong, le PDG de Cortical Labs, dans un entretien accordé à Numerama.
Cette prouesse, la jeune firme l’a réalisée en 2022, alors qu’elle n’avait que 3 ans. De quoi mettre sur le devant de la scène un nouveau champ de recherches : l’intelligence organoïque, une révolution.
Formalisée en 2023 par une équipe internationale conduite par des chercheurs de l’Université Johns-Hopkins, aux États-Unis, l’intelligence organoïque se fixe comme objectif de « remplacer les transistors qui composent nos processeurs digitaux par des organoïdes cérébraux » explique le docteur Fred Jordan à Numerama, cofondateur de FinalSpark, autre startup pionnière du domaine basée en Suisse. « Les organoïdes sont des petites boules de cellules souches qui miment les fonctions de certains organes comme le cerveau ou le cœur » précise Frank Yates, enseignant-chercheur à l’école SupBiotech.
Si les organoïdes utilisés dans la recherche ne sont pas de mini-cerveaux, ils sont faits des mêmes neurones, ont des capacités d’apprentissage similaires et une faible consommation énergétique. « Pour réfléchir, le cerveau a besoin de 20 watts. Si l’on veut faire une simulation digitale d’un cerveau, on a besoin d’une consommation énergétique 1 million de fois plus importante », souligne Fred Jordan, qui imagine développer des centres de cloud computing dignes de ceux d’Amazon Web Services, mais uniquement à partir de tissus nerveux, et ce, d’ici une dizaine d’années.
L’autre intérêt de l’intelligence organoïque est sa capacité d’apprentissage. C’est tout l’enjeu du travail de recherche de la directrice du laboratoire de mathématiques J-A Dieudonné de l’Université Côte d’Azur, Patricia Reynaud Boulet, que d’analyser les capacités d’apprentissage de ces organoïdes. « Les organoïdes ne sont pas des cerveaux, loin de là. Ce ne sont que quelques milliers de neurones, quand le cerveau humain en a des dizaines de milliards. C’est quelque chose de tellement petit et basique que cela reste très bête. Je pense que là où les réseaux de neurones biologiques peuvent avoir un avantage sur les réseaux de neurones artificiels, c’est pour certaines tâches très spécifiques comme l’apprentissage ou la classification d’informations », nous dit-elle.
Pour autant, entreprises et chercheurs sont-ils vraiment loin d’avoir réussi à développer un ordinateur fondé sur des neurones, voire une intelligence autonome, capable de penser et de ressentir des émotions ?
Vers des machines empathiques : la quête d’une intelligence authentique
Cela reste le dessein d’entrepreneurs comme Hon Weng Chong, qui voit dans l’intelligence organoïque, la possibilité à terme, de créer une intelligence artificielle générale, c’est-à-dire susceptible d’apprendre pratiquement n’importe quelle tâche propre aux humains ou autres animaux. Un point de vue partagé par Claude Touzet, derrière la théorie de la robotique développementale : selon ce spécialiste des sciences cognitives, l’intelligence artificielle passera nécessairement par la création de robots capables de toucher, d’entendre et d’interagir avec le monde.
En attendant la création d’un humanoïde conscient, Cortical Labs a présenté son premier bio-ordinateur au plus grand salon de l’industrie de la téléphonie mobile, le Mobile World Congress, le 3 mars 2025, en Espagne. Il sera possible d’y écrire du code informatique en langage Python pour obtenir des informations sur l’activité électrique des neurones cérébraux, mais également de programmer cette activité selon les besoins des expérimentateurs.
Les considérations éthiques se multiplient autour de ce champ de recherche qui n’en est qu’à ses balbutiements, mais Frank Yates se veut rassurant : « on ne fait pas de recherche en biologie sans se poser en permanence des questions éthiques », souligne l’enseignant-chercheur qui rappelle que « dès qu’on travaille sur des cellules humaines, il faut obtenir le consentement du patient qui donne ses cellules. Il ne donne pas son consentement ad vitam aeternam mais pour une utilisation donnée, et selon les droits nationaux, dans certains pays, dont la France, le patient a le droit de se rétracter ».
Added on the 19/03/2025 18:00:04 - Copyright : Numerama